Suivez Joseph Briand et Jean-René Guicheteau
dans leur traversée du Canada à vélo
de Vancouver à Halifax du 17 mai au 24 juin 2013.

vendredi 31 mai 2013

30 mai : Virden-Brandon (79 km) ou Manitoba, terre de néant

Je commence par une citation de Jean-René qui semble avoir tout compris depuis notre arrivée en territoire manitobain : "Manitoba, terre de néant".
Si vous avez bien observé la photo d'entrée dans cette nouvelle contrée, vous aurez aperçu en bas du monument les mots suivants : "Manitoba, vibrant d'énergie". Ben, en ce début d'après-midi où nous avons déniché un motel dans la précipitation, nous avons pleinement saisi leur sens. Vous allez voir, la suite est assez rocambolesque, on a évité de peu la bérézina !
La journée commençait sereinement, nous avons eu en son et en image nos adorables épouses... Espace temps précieux et magique : sans leur soutien, nous ne serions sans doute pas là... Comment les remercier ?...
Puis, retour à la réalité sur notre incommensurable terrain de jeu sous un ciel particulièrement menaçant et un vent qui agite les arbres d'une méchante manière. Nous n'avons pas loisir d'échanger beaucoup de paroles (à part quelques petites blagounettes avant d'affronter les éléments).
Très vite, la partie s'annonce compliquée. Ce satané vent est toujours là. Le parcours identique à la veille : c'est-à-dire rien... Tout laisse à penser que, d'ici Brandon, notre objectif de la matinée, il ne faut compter que sur nous-mêmes. Encalminés en Saskatchewan depuis quelques jours, nous avions quelques sursauts d'espoir. Mais là, à part l'herbe couchée sous l'effet de l'éternel ventilateur, rien ! Rien, et encore moins à l'horizon, que les nuages remplissent jusqu'au bord ! Éole, décidément en colère montante, commence à nous flinguer le visage de façon dangereuse. Nous serrons les dents, le guidon, les fesses et supplions la clémence des forces invisibles.
Nous nous apprêtons à vivre un "enfer" quand les forces du mal se conjuguent avec la pluie. Par précaution, nous nous étions protégés du froid dès le départ (couvre-chaussures, veste thermique, imper'). Le thermomètre chute de façon angoissante ! Très rapidement, les trombes d'eau, associées aux bourrasques, nous giflent et nous piquent le visage, nous tapotent douloureusement les globes oculaires et refroidissent nos corps "martyres" (vous allez dire que j'exagère, je l'entends d'ici, mais il faut le vivre pour le croire).
Dans ce genre d'exercice délicat, mêlé à l'aspect jouissif de l'exploit, j'ai d'emblée une pensée pour Nicolas Bouvier (célèbre journaliste écrivain voyageur suisse aujourd'hui disparu) qui parlait du voyage en ces thermes : "Le voyage ne nous apprendra rien si vous ne lui laissez pas aussi le droit de vous détruire. C'est comme un naufrage, et ceux dont le bateau n'a pas coulé ne saurons jamais rien de la mer. Le reste n'est que tourisme..." Voilà, que c'est bien dit. Et tellement vrai en pareilles circonstances !
Notre calvaire continue. La vigilance est extrême. Nous sommes déportés régulièrement vers le large fossé herbeux (pas vraiment moelleux). Les écarts sont fréquents et inattendus. Les camions doublent sur la voie de gauche, c'est-à-dire à 7 ou 8 mètres de nos frêles montures. Mais l'écume qu'ils entraînent dans leur sillage nous font rêver de hammam. Non, je rigole maintenant, mais on n'en menait pas large...
Nous continuons d'appuyer comme des désespérés sur nos pédales. Le vent soufflant de côté nous contraint à pédaler ("à cycler" comme dirait notre tourdumondiste) en italique, essayant de nous tenir en appuis sur la rampe illusoire de la soufflerie capricieuse.
Plus on se rapproche de Brandon, plus la tempête (dernier reliquat de la tornade de l'Oklahoma) se renforce, nous attaquant de front. La vitesse moyenne continue de baisser (nous finirons à 15 km/h malgré tout, avec parfois moins de 7 km/h dans les côtes, à la limite de la rupture d'équilibre).
Alors que j'esquive un coup de boutoir furieux menaçant de me jeter comme un mal-propre dans le bas-côté herbacé (moelleux), j'aperçois Jean-René 100 mètres devant qui vient de s'étaler par terre ! On rit jaune. Il ne nous reste que deux kilomètres avant d'atteindre le motel. On arrive trempés comme des rats. Au bureau d'accueil, à 13 h 45, on s'étonne de notre arrivée. Nous, on est bien contents d'allumer la clim' pour soulager nos douleurs, nous réchauffer, nous sécher. On en oublie de manger. Pensez-donc ! Quel bonheur d'avoir un refuge de luxe !
Conclusion : "C'est à l'aune de la douleur que l'on mesure les grands bonheurs."

Ce soir, nous nous sentons un peu prisonniers
derrière la fenêtre.

Vous l'aurez deviné, jamais on n'avait imaginé au départ vivre une telle aventure (plus dure mais toujours plus belle de jour en jour). Au courage, certes, mais quelle satisfaction d'en arriver là aujourd'hui ! Isabelle, tu as raison d'avoir quelques doutes sur mes velléités tourdumondistes. J'ai l'impression de peaufiner ma préparation...
Agnès (ma chère belle-sœur), merci pour l'intérêt que tu portes à mon commentaire quotidien. J'y passe en moyenne de 1 h 30 à 2 h avant de me coucher. C'est un plaisir immense de vous partager mes états d'âme. Vos retours me vont droit au cœur. Merci à tous de faire l'effort d'envoyer des commentaires. Je crois savoir que ce n'est pas facile pour tout le monde. Mais une petite remarque pertinente à prendre sur l'air humoristique me vient à l'esprit. Surtout, surtout, ne vous inscrivez pas en simple consommateur. Ce mot me dérange quand on l'écrit de la manière suivante : con-sot-mateur ! Je rigole, je rigole. Faites comme vous le sentez. Mais encore une fois : MERCI !
Pour répondre à ta question, les citations entre guillemets sont d'auteurs dont j'ai oublié le nom, les autres sont de ton serviteur. Tu sais, paraît-il que les philosophes pensaient en marchant, souviens-toi, le Chemin de la Philosophie à Kyoto... Les cyclistes qui pédalent à longueur de jour ont largement le temps de penser, non ?...

Même les vélos compatissent à notre désarroi...

Comme nous disposons de plus de temps aujourd'hui, et pour cause, je profite de l'occasion pour réagir au commentaire de Colette de Viroflay, que je ne connais pas mais dont j'apprécie l'échange. Il se trouve que Guy Demaysoncel est un ami depuis une quinzaine d'années, dont j'envie les nombreux talents. Artiste aux multiples facettes : écrivain, poète, auteur-compositeur-chanteur d'écriture, homme du cirque, musicien, etc... J'ai un souvenir impérissable et ému de sa venue à la maison la veille de mon départ pour un tour de France. Nous chantions tous autour de la table aux échos de son orgue de barbarie !
Plus tard, juste au départ de mon tour d'Europe (entouré d'amis) j'écoutais les paroles fortes de cet homme extrêmement chaleureux et tellement humain et si riche de cœur. Je ne peux m'empêcher de vous les livrer maintenant : "Navigateur solitaire mon frère, je te salue ! L'utopie nous a si souvent bercés, qu'il est temps pour nous ne nous mettre en voile. Tandis que je longerai ton littoral, pense à moi, quelquefois ! Je te saurai au large, la mouette et le goéland te préviendront de mon errance. Quelque part, nous nous reconnaîtrons pour être nés de la même vie, du même tumulte ; pour avoir bu au nom d'une même soif, à la source commune d'une même envie d'éternité."

Une petite dernière de Jean-René

"Plus on pédale moins vite, moins on avance davantage." Remarque de circonstance...
Bon anniversaire Dédé ! J'espère que tu vas bien et que tu t'occupes bien des tomates ! Nous, aujourd'hui, on est presque déjà farcis...

10 commentaires:

Isabelle a dit…

Bon ben, vu les circonstances, je suis bien contente que vous soyez deux! Et j'imagine que vous aussi...
Finalement Joseph, t'aurais mieux fait d'emmener ton cuissard long d'hiver...lol...
Et profitez bien du repos qui vous est si gentiment proposé par la Vie!
Bisous,bisous!

Anonyme a dit…

Bonjour admirables cyclistes,
J'aime bien le concept de "con sot matrice" de vos écrits dont je me délecte chaque jour .
Quel agréable moment de lecture vous nous avez offert aujourd'hui encore J'ai eu l'impression que mes muscles s'endolorissaient au fur et à mesure de votre récit de lutte contre les éléments .
Toutes ces belles pages méritent d'être éditées . J'espère que vous y pensez !
Je n'ai pas le plaisir de connaitre le talentueux Guy Demaysoncel . Son écriture traduit en effet une grande sensibilité et une richesse de coeur .
Ses paroles avant votre départ pour le tour d'Europe sont magnifiques . Merci de nous les avoir fait partager .
Jean René, ta petite dernière est bien aussi .
Je vais y répondre dans le même esprit grâce à la plume de Pierre Dac .
"Il est idiot de monter une côte à bicyclette quand il suffit de se retourner pour la descendre "
Bonne route et bon vent . Je prie Eole pour vous .
Grosses bises
Colette de Viroflay

Frédérique a dit…

Dites messieurs, il faut longtemps pour aller loin ?
En lisant tes mots Joseph, je dois dire qu'un ou deux frissons ont parcouru mon dos.
Soyez prudents tout de même.
Je vous embrasse
Frédérique

Anonyme a dit…

Quelle histoire ! et ce n 'est pas fini
chapeau les gars !

puisque vous etes amateurs de citations:
René Fallet écrivait :

"Ceux qui font du vélo savent que dans la vie, rien n'est jamais plat !"

ça doit vous parler un peu non ?

Michel de chantenay

Anonyme a dit…

PS j'etais aux herbiers hier !
j'aurais du prendre mon velo dans le coffre pour pédaler dans la rue du brandon ....... toujours par solidarité ! ...

Michel ( de chantenay )

Anonyme a dit…

Pédaler en italique à cause du vent, tout est dit ! Siffle-t-il en plus dans le casque ? Sachez que je compatis et je comprends qu'on puisse passer pour des bizzareries de la nature quand on s'acharne face à ce forcené invisible et capricieux sur une telle distance ouverte à l'infini. Mais on ne nous a jamais demandé d'être rationnels ! Encore un souvenir au passage de ce vent de fou dans les Prairies : lorsque je mettais pied à terre pour boire au bidon, il fallait en même temps appuyer, à l'arrêt, sur les freins pour que le vélo ne recule pas. Je pense que vous me croyez ! Allez, bientôt Winnipeg ! En espérant une reverse de vent... A très bientôt.
Cécile

PS : et bravo bien sûr pour la qualité et l'inspiration de la plume traversière tous les jours renouvelées.

Simon a dit…

... "et de genêts en fleurs" au moins ? Aujourd'hui à Montréal : 32°. On veut bien partager...

Simon a dit…

Au fait, le "K Line" des trains, c'est une boîte japonaise ! http://fr.wikipedia.org/wiki/K_Line

MIMI a dit…

merci pour les commentaires quotidiens, savoureux, frais!!!!,arrosés
un voyage de rêve!!!
je me "shoote"!!??? au blog transcanada et m'en porte fort bien
MIMI
et je vous souhaite bien du courage!!!!

Anonyme a dit…

bonjour Joseph
Du bon temps à lire ces étapes commentées avec finesse, détails de votre quotidien, et en plus des images... J'ai beaucoup aimé la formule d'Isabelle pour parler du lavage automatique... et des 4 repas par jour... Nous partageons le même temps sans selle ni pédales... en tout cas pour moi... Car même à l'Ile d'Yeu, je souffre en vélo...
Merci pour ce voyage par procuration et à te lire dans vos nouvelles péripéties
chantal galerneau

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