En partant à 8 h 15 ce matin, les drapeaux qui flottent nous font
comprendre que l'étape promet d'être dure... Comme d'habitude, nous
sommes couverts de pied en cap, mais sans couvre-chaussures ni gants
d'hiver. Le ciel bas, couleur acier, soulève quelques inquiétudes que nous
partageons spontanément pour nous "remonter le moral" (si nous n'avons
pas d'humour, on est fichus !).
Les premiers coups de pédales sont comme
la veille : on enroule le pédalier en pleine puissance (toujours le
grand plateau depuis Calgary). Le corps se crispe tout entier alors que
nous ne voulons pas trop gamberger. Les bras sont en traction
permanente, les mains enserrent le cintre ou s'accrochent aux cocottes avec une grande détermination. Les cuisses se durcissent en alternance, poussant comme des pistons d'une mécanique bien huilée et déchaînée. On ne lâchera rien... Dans ce délire de ténacité et d'abnégation, nous en oublions notre environnement, hormis le doublement des camions qui nous laisse une brève sensation de chaleur et leurs longues remorques qui servent de coupe-vent et nous entraînent vers l'avant.
Clin d'œil aux Herbretais
Même sans soleil, le vent burine le visage.
Sinon, toujours des fermes éparpillées, la voie ferrée qui longe la Highway, la même faune ornithologique, quelques animaux écrasés. Et les silos que l'on aperçoit de loin en loin (tous les 15 ou 20 km), pareils à des flèches de cathédrales (imaginez la cathédrale de Chartres depuis l'autoroute par temps de grisaille et vous y êtes...). Et on prie secrètement "les saints de ces lieux" pour exaucer notre vœux : qu'Éole entende notre supplication et joue la partie avec nous et non contre nous !...
Dans cet univers de brutes où l'on se sent en rupture avec le monde, la Highway est un véritable cordon ombilical assurant notre survie. Sachez qu'un cycliste qui pédale 8 à 9 heures par jour a besoin de doubler sa ration alimentaire (quand ce n'est plus) s'il veut résister aux éléments qui s'opposent à lui. Le boire et le manger tournent très vite à l'obsession, ce qui nous transforme en "tubes digestifs à pédales", le reste prend alors une importance bien relative. L'organisation est presque parfaite sur la "Trans" : stations services avec "convenience stores", bars, restaurants... et surtout surtout les motels très nombreux où nous aspirons à arriver chaque soir pour nous laver, nous reposer et envoyer de nos nouvelles !... (Je ne devrais peut-être pas le dire mais la lessive n'est pas notre fort. Je me suis décidé à laver mon cuissard au bout de 11 jours ! Ce n'était pas pour l'odeur mais pour le sel accumulé de la transpiration qui finit par irriter la peau...)
Même Marilyn nous regarde.
De l'énergie, on en a !
L'étape a été particulièrement dure aujourd'hui, malgré la platitude absolue de la route (65 m de dénivelé positif pour 163 km !). Le plus terrible, c'est cette sensation de monter que l'on a en permanence. Il nous faut relancer continuellement pour conserver péniblement 20 km/h (je me suis relevé au moins 300 fois de ma selle, Jean-René un peu moins). Un dernier agacement : malgré les longues lignes droites, on a l'impression que tous les virages tournent à gauche et, à chaque débouché de ces derniers, on subit la même punition : le vent frontal provenant de la baie d'Hudson !
Enfin, un peu de panique ce soir : en franchissant la frontière qui nous amène au Manitoba, nous avons raccourci notre journée d'une heure (signe qu'on se rapproche de vous !) et, par conséquent, notre étape est amputée également d'une heure (on sait que vous ne nous en voudrez pas). Nous avons appuyé très fort les 20 derniers kilomètres, le motel se faisant attendre. Mais tout est bien qui finit bien et on va s'endormir heureux !
Coucher de soleil à Virden
La pensée du jour
"On se donne en cyclisme comme on entre en religion, avec le mysticisme d'un catéchumène." Bonne méditation.
8 commentaires:
Pour le linge, pas de problème, j'ai cru comprendre que depuis le début, le ciel vous a mis en mode lavage automatique, non? et qu'il a même pensé à l'essorage!
Finalement, positivons, quel gain de temps cette pluie qui tombe!!!!
Après la Saskatchewan, le Manitoba ! Vous files vite les gars. Je souris lorsque vous faites allusion aux drapeaux qui claquent dans le vent, tels des baromètres pour la hauteur de l'optimisme de la journée. Il semble me rappeler que sur le tronçon de la Province du Manitoba, il n'y a plus de shoulder (accotement) et l'écart pour les vélos est moins confortable.
A Winnipeg, n'hésitez pas à passer dans le Quartier Saint-Boniface, quartier francophone (non québécois).
Bonnes haltes dans les truck-stops et autres stations Petro-Canada. Les routiers ne manqueront de vous signaler d'autres cyclopathes de votre genre qu'ils auraient remarqués sur la route, et que vous croiserez ou rattraperez bientôt.
Allez, j'attends la prochaine étape avec impatience.
"Le vélo est seulement un moyen d'accéder à la connaissance du monde qui nous entoure . Le vélo est le stylo de l'asphalte" Guy Demaysoncel écrivain Merci encore de nous faire partager votre quotidien et vos émotions .
Je vous retrouve chaque jour avec un réel plaisir et vous adresse toute ma reconnaissance pour cet exercice d'écriture enchanteur .
Tous mes encouragements pour la suite et bravo pour votre endurance .
Bises
Colette de Viroflay
Un plaisir de te lire, la route a l'air de t'inspirer tous les jours un peu plus !
De tout coeur, nous sommes avec vous, depuis St Michel Mt Mercure!
Jean René, à vous lire et à voir vos photos, je ne peux m'empêcher de me rappeler cette chanson du Grand Springsteen, reprise aussi par Cash : "Highway patrolman", l'histoire émouvante de 2 frères sur la route (Joe et Francky...tiens tu le role de Francky?) en bordure de la frontière canadienne (vers le Michigan) - mélodie à l'atmosphère particulière, mais tellement captivante, tout comme vos émotions partagées - courage les mecs !
C'est avec beaucoup de plaisir que je viens chaque soir avant d'aller dormir lire le récit de vos aventures; c'est mon livre de chevet en ce moment... Merci de ce partage de sensations fortes... On s'y croirait... Mais j'espère que l'étape de demain sera plus cool, car "dur dur" aujourd'hui (2 fois dans le texte!..)! Je rejoins ta citation Joseph: le cyclisme à votre niveau est un véritable sacerdoce! Courage pour la prochaine étape, prenez soin de vous... ;-)
Au fait, de qui sont les citations qui jalonnent tes récits?
c'est passionnant votre virée une oooollllllaaaaa pour nos pédaleurs fous !
ps hier je suis allé chercher mon journal sur la place avec mon vieux velo .
j'ai pensé à vous ( en toute modestie ....)
une manière très spéciale de m'associer à votre "ballade ".
amitiés
Michel
Pour Joseph,
Il y a quelques années, tu étais venu présenter ton futur tour d'Europe à un groupe de jeunes du collège. Au retour, les photos et les films avaient rendu compte de cette formidable expédition...
Je me souviens d'un échange autour des moyens de communiquer, de faire partager et la place de l'écriture était apparue comme une "future possible expérience"!
Quelques temps après, ce formidable moyen, on ne peut plus simple, de faire vivre son quotidien, ses émotions est devenu ton "arme favorite".
Les aléas de la vie renforcent la vérité du message; du blues de fin de journée à la joie d'avancer vers les objectifs que l'on se fixe, la palette est large.
Ces grandes étendues à l'infini me font dire qu'avec mes seuls pieds (c'est mon moyen de déplacement favori), le Canada ne risque rien avec moi!
Bon courage à vous deux.
Louis MOISIERE
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